Surpris par l’absence de résultats d’une étude qui n’arrivera finalement jamais (pour être honnête, la sortie de Plurimedia est chaque année un temps fort pour adada, puisque les médias en bonne forme communiquent habituellement sur nos espaces publicitaires leurs bons résultats), nous avions ouvert le bal en septembre dernier pour mettre en lumière le cafouillage entre l’institut ILRES et les commanditaires de l’étude, visiblement insatisfaits de la méthodologie, pour ne pas dire des résultats. Depuis, et il fallait s’y attendre, les journalistes ont pris le relais, et ont enquêté.
À commencer par Romain Hilgert, Pierre Sorlut (d’Land) et Pol Reuter (Reporter.lu). Parce qu’au-delà des grands groupes de presse que sont Editpress (Tageblatt, le Quotidien, L’essentiel), Mediahuis Luxembourg (Wort) et CLT-UFA (RTL), il y a aussi de l’argent public qui finance cette étude annuelle. Et vu que l’étude a bien été financée en 2023, elle a été menée jusqu’au bout par ILRES, et donc, les résultats existent, quelque part. Les journalistes sont ainsi parvenus à faire jouer le droit à la transparence (Loi Transparence de 2018) et à obtenir celui de consulter les résultats de l’étude. Des résultats non représentatifs selon le comité technique et donc invalidés par ce dernier, a bien sûr tenu à rappeler la Commission d’accès aux documents (CAD).
Les libertés de la Presse
« Schon in der Vergangenheit zögerten die Auftraggeber die Veröffentlichung ungünstiger Plurimédia-Zahlen hinaus. Sie bemühten sich um schönere Zahlen. Änderten die Altersgrenze der Stichproben. Rechneten die Internet-Besuche zur Druckauflage. In ihrer Berichterstattung beschränkten sie sich auf die für sie günstigen Vergleichszahlen. » expliquait Romain Hilgert dans un article intitulé « Pressefreiheit » paru dans le Land en octobre dernier. En revanche, c’est la première fois que l’étude n’est pas rendue publique sur décision des commanditaires.
Des progressions anormales pour certains médias
Selon le journaliste Pierre Sorlut, qui a pu décortiquer les chiffres d’ILRES, si les résultats du premier volet censés paraitre au printemps dernier confirmaient bien une baisse tendancielle de la consommation des médias traditionnels depuis 20 ans, ceux du deuxième volet (qui devaient paraître en septembre) révèlent au contraire des audiences qui bondissent de manière spectaculaire – jusqu’à quadrupler – pour certains médias. « Trop beau pour être vrai? » s’interrogeait alors le journaliste dans les colonnes du Land (édition du 12.01.24).
Alors qu’en est-il de ces résultats pas montrables que l’on montrait pourtant jusqu’ici chaque année? Pourquoi les juge-t-on tout à coup faussés ou farfelus? Selon l’article de Pol Reuter pour Reporter.lu, le fait est que les résultats du Wort, qui font état d’audiences en baisse (de façon logique dans un contexte de crise pour l’ensemble de la Presse Quotidienne imprimée), se retrouvent anormalement décorrélés par rapport à la progression difficilement justifiable d’autres titres concurrents.
Die Zahlen sprechen für sich. Sie sind nicht zu erklären.
Paul Peckels, CEO de Mediahuis Luxembourg (propos recueillis par Reporter.lu)
Contre toute attente, ce sont donc finalement les bons résultats de certains médias qui ont semé le doute, et abouti à la non-publication de l’étude Plurimedia 2023.
La légitime question de l’indépendance
Au-delà de ces chiffres inexplicables, et de la méthodologie largement pointée du doigt, il semblerait que le sérieux de cette étude, financée en partie par l’État pour des intérêts majoritairement privés (ceux des médias qui veulent pouvoir justifier la valeur de leurs espaces publicitaires), ait été mis à mal.
Une fois encore, Maurizio Maffei, président de l’ALEMI – une nouvelle association réunissant des éditeurs de presse indépendants au Luxembourg – profite de ce rebondissement dans l’actualité pour remettre sur la table la question de l’indépendance d’une telle étude, qui selon lui est primordiale:
Les données doivent être propres et accessibles publiquement, et non détenues par les éditeurs ou les clients intéressés.
Maurizio Maffei, président de l’ALEMI
« Je continue de soutenir que, dans l’intérêt des tous, le suivi de l’audience des médias devrait être effectué par un organisme indépendant tel que l’UNI. Les données doivent être propres et accessibles publiquement, et non détenues par les éditeurs ou les clients intéressés. J’ai demandé l’avis des journalistes mais je n’ai jamais eu de réponse… Est-ce trop risqué de s’opposer aux éditeurs dominants? » écrit-il ce dimanche sur son compte Linkedin.