« Monopoles des géants du Net, exploitation incontrôlée de l’IA et concurrence subventionnée par l’État compromettent l’avenir des médias indépendants » Mike Koedinger (EMMA)

D’un côté, un Digital Markets Act (DMA) qui tarde à être mis en application. De l’autre, la nouvelle concurrence déloyale des radios de service public. Et au centre, l’explosion des plateformes d’IA générative qui se nourrissent du contenu journalistique des médias indépendants sans contrepartie. Trois combats que le président de l’Association européenne des médias magazine (EMMA), Mike Koedinger, mène aujourd’hui de front pour tenter de maintenir en vie une Presse indépendante gravement menacée et pourtant « essentielle à la démocratie ».

Fondateur et CEO de Maison Moderne, c’est sous sa casquette de Président de l’Association européenne des médias magazine (EMMA) que Mike Koedinger lance à l’attention du législateur européen un appel urgent à l’action. Objectif: rappeler à la Commission européenne qu’elle doit agir de manière décisive pour faire respecter les règles de concurrence, assurer l’équité des marchés publicitaires, encadrer l’utilisation des contenus par l’IA et veiller à à l’application des réglementations sur les aides d’État.

« À une époque où l’information est synonyme de pouvoir, la pérennité du journalisme indépendant est gravement menacée. Le passage au numérique a bouleversé les modèles de revenus des médias traditionnels, conférant un contrôle sans précédent à une poignée de puissants acteurs du numérique. La Commission européenne a introduit des mesures réglementaires, notamment la loi sur les marchés numériques (DMA), pour rétablir la concurrence, mais son application demeure un défi majeur. Par ailleurs, l’expansion des radiodiffuseurs de service public dans l’édition numérique et la montée en puissance des contenus générés par l’IA accentuent les pressions sur les éditeurs indépendants. Face à ces évolutions, il est impératif que les décideurs politiques prennent des mesures décisives pour garantir un écosystème de l’information équitable et ouvert. » dit-il dans une lettre ouverte.

Mise en œuvre du DMA: lutte contre l’auto-référencement et les pratiques déloyales

Pendant des années, les acteurs dominants du numérique ont exploité leur position dominante pour avantager leurs propres services au détriment de la concurrence, affaiblissant ainsi les éditeurs indépendants. Pour Mike Koedinger, l’application rigoureuse des dispositions clés du Digital Markets Act, la législation sur les marchés numériques qui vise à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants d’internet et corriger les déséquilibres de leur domination sur le marché numérique européen, ndlr) est « cruciale pour enrayer ces pratiques ».

Pendant des années, les acteurs dominants du numérique ont exploité leur position dominante pour avantager leurs propres services au détriment de la concurrence, affaiblissant ainsi les éditeurs indépendants.

Mike Koedinger, président – EMMA

« L’article 6, paragraphe 5, de la DMA interdit explicitement aux acteurs dominants de favoriser leurs propres services. Des pratiques telles que la mise en avant par Google de ses services Shopping et AI Overviews au détriment des éditeurs indépendants doivent être rapidement stoppées. » rappelle-t-il au sujet des pratiques d’auto-référencement, avant de poursuivre: « L’article 6, paragraphe 12, impose aux acteurs dominants de fournir un accès équitable, raisonnable et non discriminatoire (FRAND) à leurs plateformes. Cela devrait empêcher les géants de la technologie d’exiger des données excessives ou d’imposer aux éditeurs des conditions de licence inéquitables. »

Le monopole de la publicité numérique: pour une concurrence équitable

« La publicité numérique constitue une source de revenus essentielle pour les éditeurs, mais elle reste largement dominée par quelques géants de la technologie. Ces acteurs imposent leurs règles, limitant ainsi la capacité des éditeurs à monétiser leur propre audience » explique Mike Koedinger, pointant la perte de revenus due aux restrictions sur les données parmi d’autres pratiques anticoncurrentielles: « Les politiques Privacy Sandbox de Google et App Tracking Transparency (ATT) d’Apple bénéficient de manière disproportionnée aux acteurs dominants, tout en réduisant significativement les revenus publicitaires des éditeurs. L’UE doit s’assurer que les marchés publicitaires ne soient pas captés par des pratiques anticoncurrentielles, telles que la manipulation des enchères et la domination des données par Google Adtech. »

Mike Koedinger milite ainsi pour rétablir l’autonomie des éditeurs. Ces derniers devant « pouvoir contrôler pleinement les mécanismes de consentement des utilisateurs et les modèles de monétisation, afin d’assurer un financement durable du journalisme indépendant. »

Radios de service public: une concurrence déloyale subventionnée par l’État?

Au-delà de celle des grandes plateformes comme Google, le président de l’EMMA pointe dans sa lettre ouverte une autre concurrence déloyale du côté des radios de service public. Il s’en explique en arguant que bien que les radiodiffuseurs de service public jouent un rôle essentiel, leur expansion dans l’édition numérique menace la viabilité économique des médias privés: « Les règles de l’UE limitent les radiodiffuseurs publics à la radiodiffusion, et non à l’édition de presse. Pourtant, ils publient de plus en plus de contenus rédactionnels en ligne, créant ainsi une concurrence déloyale. » Il fait savoir également que malgré de nombreuses plaintes déposées par des éditeurs dans des États membres comme l’Autriche, la Belgique, le Danemark et la Finlande, la Commission européenne a peu progressé dans la lutte contre ces infractions.

Pour garantir des conditions de concurrence équitables, une application rigoureuse des règles est nécessaire pour empêcher les radiodiffuseurs publics d’empiéter sur les marchés de la presse et préserver un paysage médiatique diversifié et indépendant.

Protéger le journalisme à l’ère de l’IA générative

L’essor incontrôlé de l’IA générative soulève de graves préoccupations en matière de droits d’auteur et de viabilité des médias. Le président de l’association européenne des médias magazine rappelle ainsi que pour des questions de transparence et responsabilité évidentes, le contenu généré par l’IA doit être clairement étiqueté afin de prévenir la désinformation et la manipulation. Il propose d’imposer aux acteurs de l’IA de prouver qu’elles respectent les lois sur le droit d’auteur, et de mettre en place un système de rémunération équitable, avec l’obligation pour ces plateformes d’IA d’obtenir l’autorisation des médias et de les indemniser pour l’utilisation de leur contenu.

L’IA générative, entraînée sur des contenus de presse sans compensation, constitue une distorsion majeure du marché. Sans intervention réglementaire, ces systèmes d’IA renforceront la domination des géants du numérique tout en fragilisant le journalisme professionnel.

« Ce n’est qu’en relevant ces défis urgents que l’Europe pourra préserver une presse libre, diversifiée et indépendante à l’ère numérique. » conclut Mike Koedinger.