Depuis 2016, à travers son prix média, Amnesty International Luxembourg met en lumière la contribution des journalistes luxembourgeois au débat public sur les droits humains et encourage les professionnels du métier à continuer d’éclairer les injustices au Grand-Duché et dans le monde. Le 1er mars dernier, l’ONG a décerné ses trophées 2022 – réalisés par l’artiste René Wiroth – à Luc Caregari (Reporter), Diana Hoffmann (RTL radio) et au groupe de journalistes du Luxemburger Wort composé de Jean-Michel Hennebert, Sibila Lind, Dominique Nauroy, Christophe Olinger. Une mention spéciale a également été attribuée à Caroline Mart (RTL télé). Les travaux étaient choisis parmi 32 soumissions.
C’est aux Rotondes que, lors de la remise des prix modérée par la journaliste France Clarinval, les nominés des 3 catégories – article, audiovisuel et multimédia – ont présenté leurs travaux avant que les lauréats ne soient annoncés par les membres du jury. Ce dernier était composé du professeur de philosophie à l’Université de Luxembourg Lukas Sosoe, de la chargée des projets socio-politiques au CID | Fraen an Gender Isabelle Schmoetten, de la présidente du conseil d’administration de la radio 100,7 et ancienne responsable du plaidoyer national et des médias au Cercle de Coopération Véronique Faber, et du journaliste et gagnant du Mediepräis 2020 Petz Bartz.
Luc Caregari (Reporter), lauréat dans la catégorie Article
Dans la catégorie «article», le lauréat est Luc Caregari de Reporter pour son article «Ausbeutung hinter legaler Fassade» (L’exploitation derrière une façade légale) qui, au travers du témoignage d’une victime dans le milieu de la restauration, révèle des manquements dans la lutte contre le travail forcé au Luxembourg. Le reportage dévoile le mur de silence que cache le quotidien dans une situation où la victime et le coupable font partie de la même communauté.
L’enquête de Luc Caregari a été réalisée en collaboration avec Namrata Sharma au Népal. C’est un travail remarquable de journalisme international et transfrontalier que même la pandémie n’a pas été capable de réduire au silence.
Petz Bartz, membre du jury 2022
Sélectionnés parmi les nominés, il y avait deux travaux sur des sujets similaires. Dans l’article «As mulheres que o paraíso maltrata» (Les femmes que le paradis maltraite), Ricardo J. Rodrigues de Contacto rassemble trois témoignages des victimes de violences domestiques, de travail forcé et d’exploitation sexuelle. « Le travail met en évidence que les mécanismes de protection des victimes font défaut dans ce pays alors que les auteurs d’abus sont souvent en liberté » commente Petz Bartz.
Avec l’article «Häusliche Gewalt: Wenn das Bleiberecht im Ermessen des Ministers liegt» (Violence domestique. Quand le droit de séjour est à la discrétion du ministre) de Janina Strötgen, un deuxième travail de Reporter a été choisi parmi les nominés. L’auteure combine un témoignage avec l’analyse des lacunes du Luxembourg quant à l’application de la Convention d’Istanbul. Elle illustre que cette première convention contre la violence envers les femmes contraignante pour les 35 états signataires n’est guère appliquée, en particulier dans le droit à l’asile et à l’immigration. Petz Bartz a déclaré: « Deux ministres ont expliqué que la convention doit rester ‘notre référence absolue’. Le travail démontre que la réalité est bien différente. »
Le prix « Multimédia » pour un groupe de journalistes du Wort
Le jury a décidé de décerner l’Amnesty Mediepräis 2022 dans la catégorie «multimédia» à l’équipe de Jean-Michel Hennebert, Sibila Lind, Dominique Nauroy, et Christophe Olinger du Luxemburger Wort pour le projet «Vom Opfer zur Täterin» (Dans la peau d’une victime « criminelle »). C’est l’histoire d’une Brésilienne victime de harcèlement sur son lieu de travail au Luxembourg. Quand elle a porté plainte, cette démarche s’est retournée contre elle comme un boomerang car elle est en situation irrégulière au Grand-duché de Luxembourg. Et cette affaire n’est probablement que le sommet de l’iceberg. Véronique Faber a déclaré: «Les auteurs racontent cette histoire avec beaucoup de respect tout en mettant en avant les problèmes systémiques qui ont fait que ni la loi, ni la politique représente un cadre fiable pour protéger les personnes sans papiers contre les violations de leurs droits fondamentaux.»
La même équipe du Luxemburger Wort renforcée par Sarah Cames, Rosa Clemente et Jörg Tschürtz, a créé le dossier « La crise du logement » qui comprennent les travaux «L’insalubrité comme unique solution», «Une famille à la rue» et «Ces visages derrière la crise du logement». La famille Lima vit temporairement dans une auberge de jeunesse. Eduardo paie la moitié de sa pension pour une chambre délabrée dans une maison sans cuisine. Malgré quatre ans de recherche, une famille n’a pas trouvé de nouveau point de chute pour prendre soin notamment de l’un de ses enfants, autiste. Ce dossier est rempli d’exemples de la crise du logement au Luxembourg.
Camille Frati du Lëtzebuerger Journal était également parmi les nominés de la catégorie «multimédia» avec le travail «Une avocate dans la Jungle de Calais». Ce reportage raconte les expériences que Nora Fellens, jeune avocate luxembourgeoise, a faites pendant une année de bénévolat auprès des migrants échouant à Calais qui sont souvent dans l’espoir d’un passage au Royaume-Uni.
Deux productions audiovisuelles récompensées
La troisième catégorie a pour gagnante Diana Hoffmann de RTL radio qui a réalisé «D’Pandemie huet vill Migranten ouni Pabeieren an eng prekär Situatioun bruecht» (La pandémie a mis de nombreux sans-papiers dans une situation précaire). La pandémie a causé des problèmes aux sans-papiers. Souvent, ils ont été parmi les premiers à perdre leur emploi. Beaucoup d’entre eux doivent recourir au service des épiceries sociales.
Le jury a décidé de décerner une mention spéciale à Caroline Mart de RTL Télé pour le Kloertext «Sexuelle Mëssbrauch a seng Konsequenzen» (Abus sexuel et ses conséquences). Les invitées étaient Mary Faltz et Liv Jeitz-Wampach qui ont subi des abus sexuels dans leurs enfance et jeunesse. La bâtonnière Valérie Dupong ajoute sa perspective d’avocate qui a représenté de nombreuses victimes d’abus. Isabelle Schmoetten a commenté la décision du jury: «Caroline Mart mérite du respect non seulement pour le choix et la préparation des trois interlocutrices, mais aussi pour le déroulement de l’entretien, le fil conducteur et l’ambiance créée.»
Lukas Sosoe a déclaré: « Grâce à la détermination, disons à la foi qui les anime, nos deux lauréates nous relatent, une dimension de la pandémie à laquelle nous n’aurions jamais eu accès sans leurs efforts: la précarité des sans-papiers pendant la pandémie et hélas, les abus sexuels dévoilés par celles qui en ont fait la dure expérience. À travers leur reportage et au-delà des deux expériences humaines derrière les portes de l’administration et de la violence humaine, les médias audio-visuels retrouvent toute leur place. »